Yann Dugain - artiste peintre - bibliographie
Il avait mis hors d'état les systèmes d'alarme afin que les explosions n'alertent ni la base ni la Terre. Michel Vivien était calme. Il mit en marche les téléscopes. Avec les premières lueurs du jour, peut-être y verrait-il un peu plus clair en lui. La station balnéaire apparut au bout de quelques minutes de manipulations. De plus en plus nette, de plus en plus proche. La route des crêtes commençait à pâlir ; au fond de l'anse, tout restait période bleue. Tout lui paraissait plus proche. Encore quelques jours et il toucherait le sol. Il filmerait leurs vies. Vivien fixa l'hôtel d'où il avait vu sortir Allan, la veille. Il était resté sans voix au-dessus de son fils.
Comme il devait faire chaud sur cette Terre, cette nuit... Les fenêtres étaient grandes ouvertes. S'il avait été quelque peu moins à la verticale, il se serait glissé obliquement dans les lits des chambres. Quelles chambres pouvaient-ils occuper ? Il se remémora plusieurs séjours, au tout début de sa médiocre carrière de conjoint, lévita un moment au-dessus de l'hôtel, quand, sur un balcon du dernier étage, il distingua un instrument qu'on ne pouvait identifier avec certitude, mais dont le trépied trahissait la nature. Que la lunette fût placée là en vigie l'émut profondément. Allan avait-il localisé Herschel ? La Lune entrait ces jours-ci dans son dernier quartier, le terminateur dorait les crêtes du cratère... Il réorienta les yeux de la Lune vers le port et pensa quelque chose de général et vide du genre : on t'a envoyé ici dans le but de te battre pour des idées. Pour tes idées.
Soudain, à cause d'une sonnerie de téléphone, il remonta sur la Lune à la vitesse de la lumière. Qui appelait pareil endroit à six heures trente-cinq ? Il était bien trop tard pour avoir peur, et il commençait doucement à saisir le sens de l'irréversible. Il regretta aussitôt d'avoir répondu.
Texte d'Éric Faye
1999 Croisière en mers des pluies - illustration